DOCERE

Ernst Jünger

« Avec le premier feu qui s'alluma, sur la terre, toutes les forêts furent en péril. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 9), éd. La Délirante

« La description de ce qui est mystère par les moyens de la logique ne peut réussir que si l'on use d'une encre phosphorescente. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 13), éd. La Délirante

« Aimant, re-connaître. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 18), éd. La Délirante

« A mesure que monte le nihilisme, le catholicisme tend à la décomposition, le protestantisme à la momification. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 26), éd. La Délirante

« Le culte de la santé, et le culte de la maladie, sont dans la même mesure déplaisants. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 31), éd. La Délirante

« Demos est son propre tyran »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 45), éd. La Délirante

« Le crime n'est pas la dernière issue, mais la première, qui s'offre à nous; il naît souvent d'un manque d'imagination. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 64), éd. La Délirante

« L'esclavage prend de graves proportions, lorsqu'on lui accorde de ressembler à la liberté. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 77), éd. La Délirante

« Il est des illusions d'une sorte telle, que l'homme ne saurait vivre sans elles; lui crier la vérité, ce serait le précipiter comme un somnambule dans le vide. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 83), éd. La Délirante

« La pitié du bourreau consiste à frapper d'un coup sûr. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 84), éd. La Délirante

« Mort à notre mesure. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 90), éd. La Délirante

« Il importe de connaître le point jusqu'où l'on a le droit de reculer. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 94), éd. La Délirante

« Rares sont ceux qui méritent qu'on les contredise. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 96), éd. La Délirante

« Mûri dans les tempêtes. »

— Ernst Jünger, Aphorismes (n° 100), éd. La Délirante

« Vous connaissez tous cette intraitable mélancolie qui s'empare de nous au souvenir des temps heureux. Ils se sont enfuis sans retour; quelque chose de plus impitoyable que l'espace nous tient éloignés d'eux. Et les images de la vie, en ce lointain reflet qu'elles nous laissent, se font plus attirantes encore. Nous pensons à elles comme au corps d'un amour défunt qui repose au creux de la tombe, et désormais nous hante, splendeur plus haute et plus pure, pareil à quelque mirage devant quoi nous frissonnons. Et sans nous lasser, dans nos rêves enfiévrés de désir, nous reprenons la quête tâtonnante, explorant de ce passé chaque détail, chaque pli. Et le sentiment nous vient alors que nous n'avons pas eu notre pleine mesure de vie et d'amour, mais ce que nous laissâmes échapper, nul repentir ne peut nous le rendre. Ô puissions-nous, d'un tel sentiment, tirer une leçon dont nous nous souviendrions à chaque instant de notre joie! Plus doux encore est le souvenir des années que nous versa le ciel, si ce fut une soudaine épouvante qui les termina. Nous comprenons alors quel bonheur c'est déjà pour nous autres hommes, que de vivre au fil des jours en nos petites sociétés, sous un toit paisible, parmi les bonnes conversations, salués d'un bonjour et d'un bonsoir également tendres. Hélas, nous reconnaissons toujours trop tard que la fortune qui nous donnait ces choses nous ouvrait déjà ses trésors. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 9

« Alors elle aussi se mit à sourire et posa doucement la main sur ma bouche, si doucement que pour moi le monde disparut, et que je n'entendis plus dans le silence que le souffle à travers ses doigts. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 17

« Il est des temps de décadence, où s'efface la forme en laquelle notre vie profonde doit s'accomplir. Arrivés dans de telles époques, nous vacillons et trébuchons comme des êtres à qui manque l'équilibre. Nous tombons de la joie obscure à la douleur obscure, le sentiment d'un manque infini nous fait voir pleins d'attraits l'avenir et le passé. Nous vivons ainsi dans des temps écoulés ou dans des utopies lointaines, cependant que l'instant s'enfuit. Sitôt que nous eûmes conscience de ce manque, nous fîmes effort pour y parer. Nous languissions après la présence, après la réalité, et nous serions précipités dans la glace, le feu ou l'éther pour nous dérober à l'ennui. Comme toujours là où le doute s'accompagne de plénitude, nous fîmes confiance à la force, et n'est-elle pas l'éternel balancier qui pousse en avant les aiguilles, indifférente au jour et à la nuit? »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 38

« Quand l'homme n'a plus rien qui le soutienne, la peur s'empare de lui, il roule en aveugle dans ses tourbillons. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 40

« Profonde est la haine qui brûle contre la beauté dans les cœurs abjects. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 67

« Mais on commande plus aisément à son bras qu'à son cœur et nous vivions en esprit parmi ces peuples qui surent défendre si vaillamment leur vieille liberté contre toute oppression, recueillant une victoire où nous vîmes bien davantage que le simple bonheur des armes. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 75

« Mais que faire, si les faibles méconnaissent la loi, et dans leur aveuglement tirent les verrous qui n'étaient poussés que pour les protéger? Aussi ne pouvions-nous blâmer entièrement les Maurétaniens, car le juste et l'injuste se mêlaient désormais inextricablement; les cœurs les plus fermes chancelaient et les temps étaient mûrs pour ceux qui jettent l'épouvante. L'ordre humain ressemble au Cosmos en ceci, que de temps en temps, pour renaître à neuf, il lui faut plonger dans la flamme. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 77

« Tandis que dans le pays le crime prospérait comme le réseau des moisissures sur le bois pourri, nous nous absorbions de plus en plus profondément dans le mystère des fleurs, et leurs calices nous semblaient plus grands, plus radieux que jamais. Mais avant tout nous poursuivions notre travail sur le langage, car nous reconnaissions dans la parole l'épée magique dont le rayonnement fait pâlir la puissance des tyrans. Parole, esprit et liberté sont sous trois aspects une seule et même chose. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 93

« Si nous vivions dans ces cellules qui sont indestructibles, alors, de chaque anéantissement nous sortirions comme on sort par les portes d'une salle de festin, pour d'autres salles toujours plus rayonnantes. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 94

« Plus d'une aube grise nous vit errer avec hésitation dans l'Ermitage aux buissons blancs, et demeurer tristement songeurs dans l'herbier ou la bibliothèque. Nous avions coutume alors de fermer les volets et de lire à la lumière d'une lampe des feuilles jaunies et des papiers qui nous avaient accompagnés dans maints voyages.
Nous reprenions aussi de vieilles lettres, et ouvrions, afin d'y puiser courage, les livres éprouvés, où des cœurs depuis bien des siècles tombés en poussière nous dispensent leur chaleur. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 95

« Telles sont les caves au-dessus desquelles s'élèvent les fiers châteaux de la tyrannie et c'est au-dessus d'elles que nous voyons monter l'encens de leurs fêtes : puantes cavernes d'un genre sinistre, où de toute éternité l'engeance réprouvée se délecte lugubrement à souiller la liberté et la dignité humaines. Alors se taisent les muses, et la vérité commence à vaciller comme un fanal dans un souffle mauvais. On voit les faibles déjà céder, quand les premiers brouillards à peine s'élèvent, mais la caste des guerriers elle-même est prise d'hésitation, lorsqu'elle voit le peuple des larves monter des profondeurs à l'assaut de ses bastions, tant il est vrai qu'en ce monde le courage guerrier n'est guère que de second rang et les plus grands seulement d'entre nous pénètrent jusqu'au foyer même de l'épouvante. Ils savent que toutes ces images ne vivent que dans notre cœur, et s'avancent parmi elles, comme parmi des reflets sans substance, vers de fières portes triomphales. Ils sont ainsi, grâce à ces larves, confirmés magnifiquement dans leur propre réalité. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 117

« On remarquait en lui le trait de la grandeur héréditaire, et ce trait contraire aussi que la terre imprime sur tout héritage – car l'héritage est la richesse des morts. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 126

« Il peut sembler étrange que dans ce conflit Braquemart voulût s'opposer au Vieux, alors que leurs pensées et leurs actions présentaient tant de points communs. Mais c'est une erreur où notre esprit tombe souvent, que de conclure, de l'identité des méthodes à l'identité des buts et à l'unité de la volonté qui se cache derrière eux. Leurs volontés différaient en ceci, que le Vieux entendait peupler la Marina de bêtes sauvages, tandis que Braquemart la considérait comme une terre destinée à fournir les esclaves et les armées d'esclaves. Il s'agissait ici dans le fond d'un des conflits intérieurs existant parmi les Maurétaniens, et qu'il ne peut être question d'expliquer ici dans ses détails. Qu'il suffise d'indiquer qu'entre le nihilisme amené à sa perfection, et l'anarchie sans frein, l'opposition est profonde. Il s'agit de savoir, dans ce combat, ce que le séjour des hommes doit devenir, un désert ou une forêt vierge. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 128

« Il avait perdu le respect de soi-même et c'est là le commencement de tout malheur parmi les hommes. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 132

« Si j'avais douté auparavant, à présent mon doute s'effaçait : il existait encore parmi nous des êtres nobles, au cœur desquels vivait et s'accroissait la connaissance de l'ordre supérieur. Et comme tout haut exemple nous convie à le suivre, je fis le serment devant cette tête, de préférer à jamais la solitude et la mort avec les hommes libres au triomphe parmi les esclaves. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 163

« Tandis que nous contemplions l'Ermitage aux buissons blancs, ses fenêtres s'éclairèrent et de son faite une flamme s'élança, qui monta jusqu'au bord des falaises. Elle ressemblait par sa couleur, un bleu profond et sombre, à la mince flamme de la lampe de Nigromontanus et sa cime était déchiquetée comme le calice de la gentiane. La moisson de maintes années de labeur était ainsi devant nos yeux la proie des éléments, et notre œuvre avec la maison retournait à la poussière. Mais nous ne pouvons ici-bas espérer de rien parachever, et bienheureux l'homme chez qui la volonté ne passe point tout entière dans le douloureux effort. Nulle maison n'est bâtie, nul plan n'est tracé, où la perte future ne soit la pierre de base, et ce n'est point dans nos œuvres que vit la part impérissable de nous-mêmes. Cette vérité pour nous jaillissait de la flamme, et cependant son éclat se mêlait d'allégresse. Aussi pressions-nous le pas dans le sentier, pleins de forces nouvelles. Il faisait noir encore; mais la fraîcheur de l'aube montait déjà des vignobles et des pâturages riverains. Et notre cœur croyait bien sentir que les feux dans le ciel perdaient un peu de leur violence sinistre; ils étaient mélangés d'aurore. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 179

« Alors nous franchîmes ces portes grandes ouvertes, comme on entre dans la paix de la maison paternelle. »

— Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, éd. Gallimard, p. 188